L’Amour, François Bégaudeau

Verticales, août 2023, 96 pages

J’ai voulu raconter l’amour tel qu’il est vécu la plupart du temps par la plupart des gens : sans crise ni événement. Au gré de la vie qui passe, des printemps qui reviennent et repartent. Dans la mélancolie des choses. Il est nulle part et partout, il est dans le temps même. Les Moreau vont vivre cinquante ans côte à côte, en compagnie l’un de l’autre. C’est le bon mot : elle est sa compagne, il est son compagnon. Seule la mort les séparera, et encore ce n’est pas sûr.

#LKM

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C’est un coup de foudre de jeune fille. Il est grand, il est beau, avec son prénom latin, c’est un piège, un incontournable objet de doux fantasmes. Quand elle le voit sur le terrain de basket, Jeanne astique et balaie sans plus penser à ce qu’elle fait et se projette à son bras, la bague au doigt. Mais Pietro est toujours très entouré, sollicité, et il aime ça. Au fait de ses aventures, Jeanne abandonne. Et Pietro ne se montre plus. Lorsqu’elle croise Jacques, elle ne s’imagine rien. Leur premier baiser n’est même pas un rendez-vous, juste un hasard qu’il a un peu forcé. Mais elle sourit, elle rit, le séduit sans tellement le vouloir. Ils se marient simplement, on ne manque de rien et on s’amuse. Le temps s’écoule, les pièces s’assemblent, un appartement, un enfant, une promotion. Jeanne et Jacques vieillissent, se connaissent sur le bout des doigts, s’irritent d’une habitude, se réconfortent de toutes les autres.

Le titre, sans détour et nimbé de promesses, cacherait-il une bluette un peu trop facile ? Il n’en est rien. L’auteur franchit toutes les barrières des rêves d’une Jeanne aussi naïve qu’elle est fougueuse, livre ses secrets sans pudeur et touche précisément là où il faut : en plein cœur. Le style est vif, urgent, la ponctuation minimale, les fins de phrases essoufflées. On entre dans cette histoire comme un éléphant dans un magasin de porcelaine et on ressort discrètement, les tripes serrées par tant d’authenticité. Ce doit être le terme juste : authenticité. La complicité des personnages amuse autant qu’elle émeut, le commun des situations déroute parce qu’on pourrait s’y voir, à traverser les décennies passées restituées à merveille en si peu de mots. Dans L’Amour, tout est dans le détail.

Comme des vies qu’on observe à la dérobée, ce roman court (moins de 100 pages), qui n’est pas sans rappeler Nicolas Mathieu, avec ces gens comme tout le monde qui ne font rien d’extraordinaire, n’offre que ce qu’il faut. Pourquoi les héros devraient-ils toujours être super ? 

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